Les racines juives de l’eucharistie

Monseigneur Aupetit évoque les racines juives de la liturgie eucharistique

Si, dès les commencements du christianisme, l’eucharistie a constitué le cœur de la vie chrétienne, c’est un rite absolument nouveau qui s’insère dans une tradition juive très ancienne.
Quatre récits font mention de l’institution de l’eucharistie par Jésus de Nazareth : Trois viennent des évangiles, un d’une lettre de Saint Paul aux Corinthiens : Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 15-20 ; 1 Co 11, 23 s. Pour comprendre la messe il faut se rappeler que Jésus a célébré la sainte Cène au cours d’un repas. Il a donc prononcé toutes les bénédictions qui accompagnaient ce repas.

Lavement_mains_synagogue_église_vitrail_saint_etienne_du_mont - copie 2Le repas commence par un lavement des mains rituel auquel, d’ailleurs, le Christ fait allusion auprès des pharisiens.

Ensuite, quand s’il s’agit d’un repas de fête, chaque arrivant boit à son tour une première coupe de vin. Il prononce la bénédiction suivante : « Bénis sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, qui nous donnes ce fruit de la vigne ». Le repas commence officiellement quand le père de famille ou le président de la communauté rompt le pain. Il le distribue entre les convives avec cette nouvelle bénédiction : « Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi des siècles, qui fait produire le pain à la terre ». Les plats et les coupes sont ensuite servis et chacun prononce les bénédictions appropriées. S’il s’agit d’un repas de Pâques, la différence vient des plats servis : les herbes amères et l’agneau. En outre, on y ajoute la récitation dialoguée de la « haggadah » qui explique l’origine et le sens de la fête de Pâques.

Enfin, le rite essentiel est la grande bénédiction de la fin du repas.
Allumage des bougies de Shabbat.

À ce moment, une lampe est introduite, souvent par la mère de famille. Elle est bénie en évoquant la création des luminaires (on retrouve ce rite dans l’usage chrétien du lucernaire et du cierge pascal lors de la Vigile). L’encens est brûlé, accompagné lui aussi d’une bénédiction.

C’est alors qu’il y avait le second lavement des mains général.
Celui qui préside reçoit l’eau des mains du plus jeune des convives.768px-Trumilly_(60),_église_Notre-Dame,_fragment_de_retable_-_Lavement_des_mains,_XVe_s.
Ensuite, il prend la coupe mêlée de vin et d’eau, et invite les assistants à s’associer à son action de grâce : « Rendons grâce à notre Dieu, qui nous a nourri de son abondance »

Les convives répondent : « Béni soit celui dont l’abondance nous a nourri et dont la bonté nous fait vivre ». Le président dit ensuite trois bénédictions. La première est une bénédiction pour la nourriture et pour la Création. La deuxième bénédiction porte sur la terre promise et sur le don de la loi. La troisième est une supplication pour que se renouvelle l’action créatrice par la venue du Messie et l’établissement du règne de Dieu.

Il y a une forme festive très intéressante pour nous :
« Notre Dieu et le Dieu de nos pères, que le mémorial de nous-mêmes, et de nos pères, le mémorial de Jérusalem, ta cité, le mémorial du Messie, le fils de David, ton serviteur, et le mémorial de ton peuple, de toute la maison d’Israël, se lève et vienne ».

L’emploi du terme de mémorial, en hébreu « zikkaron », est capital. Pour le juif le mémorial n’est pas un simple souvenir qu’il faut faire surgir dans la mémoire.
Ce n’est pas non plus une cérémonie officielle pour ne pas oublier un événement qui marque notre histoire, comme lorsque nous réanimons la flamme du soldat inconnu tous les ans à l’Arc de Triomphe. Le mémorial, que Jésus évoque quand il dit : « Faites ceci en mémoire de moi », est un acte sacré qui rend présent, devant Dieu et pour Dieu, quelqu’un ou quelque chose.
Faire mémoire des œuvres de Dieu c’est se mettre en sa Présence. La mémoire de Dieu ne se vit jamais au passé. L’agir du Dieu éternel et vivant est toujours d’actualité. L’alliance de Dieu avec son peuple s’actualise dans le mémorial.
Lorsque Jésus fait mémoire de la Pâque juive, il manifeste que le passage vers la libération se vit désormais à travers son corps et son sang, à travers le don qu’il fait de sa vie. A travers cet accomplissement dans la chair c’est tout l’homme et tout homme qui est concerné.

 

CèneNous pouvons raisonnablement connaître le déroulement de la Sainte Cène. Dans le récit de Saint Luc, Jésus bénit deux coupes. Une bonne connaissance des bénédictions des repas juifs permet de le comprendre. En effet Jésus prend une première coupe en rendant grâce et en disant : « Prenez ceci et partagez entre vous ; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu » (Lc 22, 17-18).

Quand Jésus bénit le pain et que les disciples répondent amen, il le rompt et, en le faisant circuler, il dit : « Prenez ceci est ma chair » et même probablement en araméen : « Ceci mon corps ». C’est bien ce que nous retrouvons dans les quatre descriptions de l’institution de l’eucharistie.
Au cours de la sainte Cène, c’est probablement Jean qui a porté l’eau à Jésus pour le second lavement des mains.

Le Christ remplace le lavement des mains par le lavement des pieds
qu’il effectue lui-même, comme nous le Lavement des piedsrapporte l’évangile de St Jean, pour signifier l’amour humble de celui qui est « venu non pour être servi, mais pour servir » (Mt 20, 28). De même, à la fin du repas, prenant la coupe préparée, Jésus prononce les trois bénédictions usuelles.
En faisant circuler la coupe, Jésus a dû prononcer cette expression hébraïque : « dam beriti », ou araméenne « adam keyami » (sang de mon alliance) que l’évangile grec a rendu exactement quant au sens : « Ceci est mon sang, de l’alliance, répandu pour vous ».
Les paroles de Jésus qui suivent la bénédiction pourraient être traduites exactement par : « Faites ceci comme mon mémorial ».

 

Il nous est apparu très important de revisiter les gestes de Jésus pour comprendre sur quoi se fonde la structuration de la messe. Cela permet d’entrer véritablement dans l’intelligence de l’acte posé par le Christ aujourd’hui encore et de dépasser les vaines querelles liturgiques un peu stériles qui divisent aujourd’hui encore les chrétiens et font tant de mal. Il est toujours important de retrouver la source afin d’être plus fidèle à notre Seigneur.

Au tout commencement du christianisme, les disciples de Jésus sont des juifs qui continuent à pratiquer leur religion.
Ils participent donc à la liturgie de la synagogue avec les grandes bénédictions :
la première conduit à la prière des anges décrite dans le prophète Isaïe : la Qeduschah (notre « Saint, saint, saint le Seigneur »…),
la deuxième qui précède le Schemah (« Ecoute Israël le Seigneur notre Dieu est l’Unique »…), et enfin
la troisième qui constitue l’ensemble de la Tefillah (la prière des dix-huit bénédictions).
Le lendemain du sabbat, le chrétien célèbre le repas eucharistique avec ses trois bénédictions qui incluent la récitation liturgique de l’institution par Jésus (la consécration).
Nous avons de bonnes raisons de croire que la liturgie eucharistique s’accompagnait d’un repas fraternel nommé « agapes ». Quand la liturgie se sépare du repas fraternel et que les chrétiens prennent leur autonomie par rapport au culte juif de la synagogue, il se produit une fusion entre les bénédictions synagogales et les bénédictions du repas eucharistique. Mais la grande prière du Schemah centrale dans le culte juif est remplacée par le récit de l’institution de l’eucharistie.

Nous comprenons alors la structure de la messe :
La Préface (« Vraiment il est juste et bon…… » qui correspond à l’action de grâce-bénédiction qui introduit la Queduschah (« Saint, saint, saint le Seigneur… ») et qui vient de la liturgie de la synagogue.
La Prière Eucharistique reprend les bénédictions des repas juifs habitées par les paroles du Christ.

Extrait_Entretien sur la messe de Mgr M Aupetit

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