L’attente messianique dans l’Ancien Testament
Chaque année, le temps de l’Avent -celui de l’attente par excellence- permet de se préparer à la naissance du Christ-Emmanuel, le fils de Dieu fait chair dans le sein de la Vierge Marie, Sauveur annoncé par les prophètes.
Mais justement, que nous disent les Saintes Écritures de ce “messie” de Dieu qui restaurera le droit et la paix en Israël? Que nous révèlent-elles de sa mission? Décryptage avec le père David Neuhaus.
Quelle est l’origine du mot « Messie », quand apparaît-il pour la première fois dans les Écritures et dans quel contexte?
Le mot “messie” est dérivé de l’hébreu “mashiah”. En grec, il se traduit par “Christos”, qui signifie “celui qui est oint”. Les chrétiens sont souvent surpris d’apprendre que ce mot n’apparaît qu’une cinquantaine de fois dans l’intégralité de l’Ancien Testament, et ne se réfère presque jamais à un sauveur ou à un rédempteur.
Dans l’Ancien Testament et la vie du peuple d’Israël, “messie” se voit plutôt relié à trois figures distinctes.
- Nous le rencontrons pour la première fois dans le Lévitique, au chapitre 4, où il désigne le prêtre (Lv 4 :3.5.16.17). Dans ce chapitre, l’on trouve en effet la description du rôle du prêtre: il est celui qui offre le sacrifice d’expiation pour le pardon des péchés.
- Dans les livres historiques, le titre de “messie”, celui qui reçoit l’onction, est conféré au roi.
Enfin, dans le livre des psaumes, où le mot apparaît à plusieurs reprises, il fait presque toujours référence à un roi. Beaucoup de psaumes dits “royaux” aspirent à un roi juste, qui régnera selon la volonté de Dieu et apportera ainsi la justice et la paix. Lors de leur consécration, les prêtres comme les rois sont oints d’huile, ce faisant, ils deviennent des chefs institués: le prêtre dans le Temple et le roi dans le royaume. - Nous avons un troisième personnage, également appelé messie, mais qui a reçu un autre type d’onction, une onction de Dieu, non pas avec de l’huile, mais plutôt avec l’Esprit-Saint: le prophète. Il existe cependant un prophète qui a été oint avec de l’huile et il s’agit d’Élisée (1 Rois 19, 16).
Ce n’est que dans les derniers livres de l’Ancien Testament, et spécialement dans celui de Daniel, que le mot “messie” commence à désigner le sauveur de la fin des Temps (Daniel 9, 25-26). Ce livre a été écrit à un moment de crise profonde, alors que les souverains hellénistiques qui dominaient la Palestine voulaient imposer la culture grecque et que certains Juifs voyaient dans ces pratiques une tentative d’annihilation de la spécificité juive. Ceux qui s’opposaient à ces politiques d’hellénisation étaient persécutés.
Et cela a donné naissance à un nouveau type de pensée religieuse dans le judaïsme: l’apocalypse, selon laquelle la seule voie de salut possible face aux circonstances dramatiques de l’époque réside dans une intervention divine directe, en l’occurrence l’envoi d’un messie qui sauverait l’humanité d’un monde en déliquescence.
Le messianisme, soit l’attente d’un homme providentiel qui apportera la paix et le bonheur, est-il propre au judaïsme?
La figure du messie comme sauveur de la fin des Temps constitue en effet un développement tardif dans le judaïsme et même marginal dans la littérature juive ancienne; elle n’est ainsi pas incluse dans le canon catholique de l’Ancien Testament.
Ce n’est qu’au milieu du IIe siècle avant J.-C. qu’un profil plus complet se dessine pour cette figure qui annonce la fin des temps, le jour du jugement et l’inauguration du Royaume de Dieu. Des études récentes insistent sur le fait que l’attente d’un messie n’était pas aussi centrale pour le judaïsme à l’époque de Jésus qu’on le croit généralement. Ce qui était répandu, cependant, c’était la croyance que Dieu finirait par remporter la victoire contre les forces des ténèbres et du mal qui troublent le monde depuis la chute et l’expulsion du jardin d’Eden. Les prophètes avaient appelé le peuple à revenir à Dieu, à abandonner les voies du mal qui conduisaient inéluctablement au malheur et à la destruction. Ils avaient averti le peuple que la dévastation approchait, mais ils le consolaient aussi en lui rappelant que Dieu est fidèle, qu’Il rétablirait la royauté (essentiellement Dieu en tant que roi) et que cela restaurerait l’harmonie. L’attente était plus celle de “temps messianiques” que d’un “messie”, bien que des auteurs bibliques aient associé l’avènement de ce royaume à la venue d’un roi davidique.
Sur la base de ce qu’en disent les prophètes et les psaumes, quel portrait peut-on dresser de cet “Envoyé de Dieu”? Quels sont les symboles qui s’y rattachent?
Il est important de noter qu’il n’est pas question de messie dans les écrits prophétiques d’Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et ceux des douze prophètes mineurs. En réalité, le mot n’est utilisé que deux fois en hébreu dans les livres prophétiques (hormis Daniel): une fois en Isaïe (45,1) lorsqu’il désigne le roi de Perse, Cyrus, qui a permis aux exilés de Babylone de retourner à Jérusalem, et une fois dans le livre d’Habaquq (3, 13), où il se réfère ou au roi davidique ou au peuple lui-même.
Dans cette littérature, il y a certainement le rêve de restaurer le monde par le biais d’un retour à Dieu.
Dans la dernière partie des écrits prophétiques, c’est-à-dire les douze livres des prophètes dits mineurs, le thème dominant est “le jour du Seigneur”. On s’attend à ce que Dieu vienne gouverner la terre à la fin des temps. Pour les prophètes, une partie de la vision de la fin des temps était centrée sur un roi qui se conformerait à la volonté de Dieu, un nouveau David qui guiderait le peuple et le ferait revenir dans le droit chemin. Mais plus que la personne d’un roi oint (messie), c’est ce que nous pourrions appeler un temps “messianique” qui est décrit en détails: un temps de paix et de justice, un temps de restauration de l’harmonie de la création. Cela est également vrai pour les psaumes qui décrivent le royaume à venir.
Deux courants émergent: le messianisme royal (fils de David) et messianisme sacerdotal (fils d’Aaron). Est-ce à dire que deux messies sont attendus?
Le prêtre et le roi sont les deux personnages oints de l’Ancien Testament. Mais lorsqu’on analyse la Bible d’un point de vue historique, on constate que, jusqu’en 587, date de la destruction de Jérusalem et du Temple, la figure prééminente était celle du roi, dont David et Salomon (tous deux appelés les oints) sont les figures archétypales.
Or, après le retour d’exil de Perse (540-333), la monarchie n’a pas été restaurée. L’espace public était sous la domination perse, mais une grande autonomie religieuse était accordée aux Juifs ; l’espace de cette autonomie se trouvait dans le Temple, où le prêtre présidait.
Cela a donné lieu à des discussions sur les deux messies, un messie davidique (royal) et un messie aaronite (sacerdotal). Les premières indications à ce sujet se trouvent dans le livre de l’Ecclésiaste (datant de la première partie du deuxième siècle avant J.-C. et écrit par le grand sage Siracide). Beaucoup plus tard, la pensée rabbinique juive a ensuite développé cette vision de deux messies différents, mais celle-ci n’est pas claire dans les écrits qui ont précédé la naissance de Jésus.
De quelle manière Jésus a-t-il correspondu aux espérances messianiques? Peut-on dire qu’il les accomplies et transcendées à la fois?
Dans le Nouveau Testament, Jésus correspond à l’espérance d’un roi davidique, un oint, qui apporte avec lui le royaume tant attendu, mais il est stupéfiant de constater que ce sont sa croix et sa couronne d’épines qui font office de trône.
Il correspond à l’espérance d’un prêtre efficace qui offre un sacrifice d’expiation, mais il est stupéfiant de voir que son sacrifice n’est pas celui du sang d’un animal mais sa propre vie et son propre sang.
Il correspond à l’espérance d’un nouveau prophète, comme Moïse et les prophètes d’autrefois, et pourtant il est stupéfiant de voir que ceux qui l’écoutent réalisent qu’il n’est pas seulement la prophétie elle-même mais qu’il est uni à celui qui inspire la prophétie, Dieu le Père.
Les chrétiens reconnaissent en Jésus le messie car il réunit tout cela en sa personne et incarne la fidélité de Dieu à ses propres promesses. Jésus sera écrit dans le langage même de ses promesses, il n’est donc pas étonnant que nous soyons capables de l’identifier entre les lignes de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Quelle est, pour vous, la (ou les) figure(s) vétéro-testamentaire(s) qui préfigure Jésus de manière particulièrement prégnante?
Le lecteur chrétien attentif est appelé à réfléchir sur quatre grandes figures de la vie du peuple d’Israël telles que représentées dans l’Ancien Testament : le prêtre, le roi, le sage et le prophète. Il est significatif que la forme chrétienne de l’Ancien Testament soit en effet divisée en quatre parties, chacune d’elle se concentrant sur l’une de ces figures.
Dans les cinq livres de la Loi (Pentateuque), la figure centrale est le prêtre, qui cherche à réaliser le commandement central: «Soyez saints comme je suis saint» (Lévitique 19,2).
Dans les Livres historiques, la figure centrale est le roi, qui est censé représenter la domination du seul et unique roi d’Israël, Dieu, en étudiant la Loi jour et nuit et en gouvernant par elle.
Dans les Livres de la Sagesse, la figure centrale est le sage, qui réfléchit sur la création et, à travers elle, est capable de contempler Dieu et le royaume de Dieu dans les banalités de la vie quotidienne (comme le fait Jésus dans les paraboles).
Enfin, dans les Livres prophétiques, le prophète rappelle la vocation primordiale d’être l’enfant d’un Père qui cherche à rassembler tous ses enfants et à les ramener à la maison, en montrant comment nous faisons obstacle à ce désir de Dieu et comment Dieu reste néanmoins fidèle. Ces quatre figures sont devenues de manière collective ce que beaucoup de chrétiens veulent dire quand ils parlent du messie.
Le père David Neuhaus sj., est professeur à l’Institut pontifical biblique de Jérusalem et supérieur des jésuites de Terre Sainte. Il est également l’ancien vicaire patriarcal pour les catholiques de langue hébraïque.
Manuella Affejee – Cité du Vatican – 07 décembre 2020 – Vatican News