Père Paul DÉMANN, nds (1912-2005)
Paul Démann est né à Budapest en 1912 dans une famille juive
assimilée. Celle-ci subira de plein fouet la tourmente de la Shoah et de la Deuxième Guerre mondiale. Sa mère sera déportée et exterminée, et son frère, tué dans les combats de la guerre.
Avant cette dernière, il étudia et pratiqua l’architecture. Après la lecture attentive des Évangiles au début des années 1930, il est attiré par le christianisme. Il est baptisé en 1934. En 1937, il quitte la Hongrie pour rejoindre Louvain, en Belgique, et la Congrégation Notre-Dame de Sion. Il reçoit à Louvain, pendant sept ans, une solide formation théologique dispensée par les Pères jésuites. Ordonné prêtre en 1944, il est licencié en théologie en 1945. Pendant toute la guerre, il se dépense sans compter pour cacher et sauver des vies juives, en Belgique, notamment sur Anvers et Bruxelles. Profitant de ses contacts avec le monde juif, il commence à publier et donne des conférences dans les séminaires et les scolasticats, ce qui lui permet de prendre conscience de « la chute constante de l’antijudaïsme doctrinal dans “l’antisémitisme”, tantôt violent, tantôt latent ».
Aussi, remarqué par son rayonnement, il fut invité par les organisateurs à participer à la Conférence internationale de Seelisberg en 1947. Il fit partie de la IIIe Commission de travail, la plus déterminante, centrée sur « Les tâches des Églises et l’enseignement religieux » pour lutter contre l’antisémitisme. Au sein de cette Commission, il côtoya Jules Isaac et ce dernier remarqua d’emblée la qualité de son travail théologique, si bien qu’une amitié et une confiance réciproques profondes s’établirent entre les deux hommes.
- C’est dans cet esprit que le Père Démann lança les Cahiers sioniens (1947-1955). Cette revue, très novatrice, incarna une réorientation progressive mais rapide des visées apostoliques de Notre-Dame de Sion traditionnellement tournées vers la conversion des Juifs. Témoin exceptionnel d’une période particulièrement cruciale dans l’évolution des relations entre Juifs et Chrétiens, il sut, avec sa collaboratrice Renée Bloch (1924-1955), exégète catholique d’origine juive et grande spécialiste de la tradition juive et du midrash, susciter des études très riches sur le Judaïsme post-chrétien toujours vivant, et lutter ainsi contre la “théologie de la substitution” qui régnait encore à l’époque quasiment sans partage.
- Conscient que « dans le concret, pour la plupart des Chrétiens, la rencontre avec Israël, qui a inévitablement lieu au catéchisme, est d’autant plus importante qu’elle est la première et souvent la seule dans leur existence», il publie en 1952, toujours avec sa collaboratrice, Renée Bloch, un n° spécial des Cahiers sioniens qui est une véritable brochure (220 pages) consacrée à la « catéchèse chrétienne et au peuple de la Bible ». Dans cette vaste enquête minutieuse, il développe et critique la présentation d’Israël dans les manuels catéchétiques en vigueur dans les années 1947-1952 (plus de 2000 examinés), afin d’obtenir « le redressement de l’enseignement catéchétique […] dans l’esprit demandé par l’Amitié Judéo-Chrétienne ».
Le Cardinal Bea connaissait et appréciait les écrits du P. Démann et ce dernier avait également le soutien du Cardinal Tisserant, toujours à Rome. Il avait aussi l’appui des évêques français, particulièrement Mgr Charles de Provenchères, Archevêque d’Aix-en-Provence, Président, au début des années 1950, de la Commission épiscopale du Catéchisme, le Cardinal Saliège, à Toulouse, et le Cardinal Liénart, à Lille.
Suivent alors de multiples épreuves qui vont amener Paul Démann à quitter la Congrégation Notre-Dame de Sion en mars 1963, pendant le Concile Vatican II. La plus lourde de ces épreuves sera le décès accidentel de Renée Bloch, sa plus proche collaboratrice aux Cahiers sioniens, le 27 juillet 1955. D’autres événements vont mobiliser toute l’énergie de P. Démann, à partir de 1956 : tout d’abord, l’insurrection hongroise, qui va le voir se dépenser sans compter pour aider sur Paris ses anciens compatriotes ; puis l’expulsion des Juifs d’Egypte par Nasser en 1957 – là encore, il se montrera d’une grande générosité. Les années 1960 seront les années du Concile Vatican II (1962-1965). Il faudra attendre le chapitre général de 1970 pour que les Pères de Notre-Dame de Sion intègrent a posteriori les implications théologiques et apostoliques d’un « enseignement de l’estime » si cher à Jules Isaac, et que Paul Démann a si vigoureusement défendu pendant deux décennies.
Par tous ses travaux, le Père Démann a véritablement préparé le nouveau regard porté par l’Église qui allait aboutir, une dizaine d’années plus tard, à la déclaration Nostra Aetate (1965).