Cardinal Roger ETCHEGARAY (1922-2019)
Le Cardinal Roger Etchegaray, né à Espelette, dans le Pays Basque, le 25 septembre 1922, et décédé à Cambo-les-Bains, le 4 septembre 2019, est surtout connu du grand public et des fidèles catholiques pour avoir été un infatigable pèlerin des droits de l’homme, envoyé sur les cinq continents par le Pape Jean-Paul II lorsque ce dernier l’appela à Rome pour présider les Conseils pontificaux « Justice et Paix » (1984-1998) et « Cor unum » (1984-1995).
Beaucoup se souviennent aussi qu’il fut un Archevêque de Marseille (1970-1984) particulièrement apprécié pour son sens pastoral, pour sa grande facilité de contact, pour son ouverture et son implication dans le dialogue interreligieux.
En revanche, de façon plus spécifique, peu ont à l’esprit le prêtre, l’évêque, le cardinal qui, à temps et à contretemps, avec une fidélité sans faille, accompagna pendant des décennies le peuple juif, dans ses jours de deuil comme de joie.
Au niveau institutionnel, il faut avant tout signaler sa forte intervention au Synode des Évêques, à Rome, en octobre 1983 qui était centré cette année sur la Réconciliation et la Pénitence. Il y affirmait que « la grande, l’inévitable question qui est posée à l’Église est celle de la vocation permanente du peuple juif, de sa signification pour les chrétiens eux-mêmes. Il ne suffit pas de découvrir la richesse de notre patrimoine commun. Peu à peu, à la suite du Concile de Vatican II, l’Église, sans rien perdre de son originalité, prend conscience qu’elle est d’autant plus verdoyante qu’elle vit de sa racine juive. La pérennité du peuple juif n’entraîne pas seulement pour l’Église un problème de relation extérieure à améliorer, mais un problème intérieur qui touche à sa propre définition. […]. Tant que le judaïsme restera extérieur à notre histoire du salut, nous serons à la merci de réflexes antisémites. » C’est l’occasion de rappeler les nombreuses protestations, déclarations signées par le Cardinal Etchegaray face à la résurgence de l’antisémitisme[1]. Enfin, il insistait, toujours à Rome, devant les Pères synodaux, ses frères Évêques du monde entier, sur « la connivence charnelle et spirituelle [des juifs] avec l’Écriture. »[2]
Deuxième communication à rappeler, celle qu’il fit le 24 mai 1981, à Marseille, dans le cadre de l’Assemblée Générale de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF)[3] qui s’était tenue, cette année-là, dans son diocèse. Il y dénonçait encore et toujours l’antisémitisme, en remontant plus haut pour y faire face, juifs et chrétiens ensemble : « Commercialisé, banalisé, un antisémitisme qui engloberait tous les fils d’Abraham, peut conduire non seulement au génocide d’un peuple, mais au suicide de toute l’humanité. Mais il est certain que la pointe d’une telle menace concerne d’abord et toujours le Peuple d’Israël, le peuple témoin de la fidélité à la voix prescriptive du Sinaï. Pour y faire face, il nous faut, juifs et chrétiens, gravir ensemble cette montagne sainte et, là-haut, nous tenir sans broncher, devant la face de Dieu, entièrement occupés comme dans une nuit d’éclairs à recevoir l’eau et le feu du ciel et à s’en laisser purifier. Ne devons-nous pas, tous, être ‘’ruisselants de la parole de Dieu’’, comme disait Péguy pour son ami Bernard Lazare ? Si la cible du néo-paganisme, racine profonde de tout antisémitisme, est la Bible qui révèle en chaque homme, l’image de Dieu, il nous faut témoigner de notre fidélité commune à la Parole, à la Loi de Dieu qui structure toute conscience humaine, à ces ‘’commandements de Dieu’’ qui sont faits pour les hommes primitifs que nous sommes toujours ».
Bien d’autres conférences et actes seraient à signaler. Nous ne pouvons qu’indiquer quelques orientations bibliographiques qui nous semblent précieuses, telle cette courageuse « Défense du pharisien », le pharisien des Évangiles, parue en éditorial dans son bulletin diocésain lorsqu’il était Archevêque de Marseille, le 2 mars 1980[5], ou bien encore sa conférence marquante au rassemblement annuel de l’ICCJ, en 1997, sous la forme d’une question pressante : « Est-ce que le christianisme a besoin du judaïsme ? », avec l’aveu de son « premier choc » en 1947, l’année de son ordination sacerdotale : la lecture des ‘’Dix Points de Seelisberg’’, « texte prophétique et courageux »[6], confiait-il, qui fut le commencement d’un engagement sans faille de plus de 70 ans auprès du peuple juif et du judaïsme.
Enfin, parmi beaucoup d’autres témoignages, comment ne pas renvoyer à son chapitre magnifique qu’il intitula « Je suis né à Jérusalem », reprenant le Psaume 87, de son dernier grand livre constitué d’entretiens avec Bernard Lecomte, J’ai senti battre le cœur du monde[7]
Il est à noter que le Cardinal Etchegaray était depuis longtemps et jusqu’à son rappel à Dieu membre du Comité d’Honneur de l’AJCF, et qu’il entretint des relations régulières avec l’AJCF et sa revue Sens[4].
[1] Entre autres, Jusqu’aux racines de l’antisémitisme [Marseille, le 4 mars 1979], in Sens, 12, 1979, p. 46.
[2] Cf. Sens, 12, 1983, p. 304-306.
[3] Les relations entre Juifs et Chrétiens aujourd’hui, in Sens, 7, 1981, p. 171-176.
[4] Cf. Sens, 3, 1986, p. 115-117 ; Sens, 11, 1997, p. 414-415 ; Sens, 2, 1998, p. 73-80.
[5] Repris dans son livre L’Évangile aux couleurs de la vie, éd. Le Centurion, 1987, p. 148-149.
[6] Est-ce que le christianisme a besoin du judaïsme ? in Sens, 11, 1997, p. 73.
[7] Éd. Fayard, 2007, p. 347-362.