Cardinal Jean-Marie Aron LUSTIGER (1926 – 2007)
Le Cardinal Aron Jean-Marie Lustiger est né à Paris, le 17 septembre 1926, dans une famille juive polonaise, non religieuse. Il ne reçut pas d’éducation religieuse au sein du judaïsme. Il subit de plein fouet avec sa famille les persécutions antisémites, et sa mère, dénoncée, fut déportée et exterminée à Auschwitz en 1943. Lui-même, son père et sa sœur, durent se cacher et vivre dans la clandestinité.
A Orléans, en 1940, au cours de la Semaine Sainte, Aron Lustiger découvre le Christ, et reçoit quelque temps plus tard le baptême, avec le prénom de Jean-Marie. Toute sa vie, il expliquera que devenir chrétien n’a jamais signifié, pour lui, un renoncement à son être juif, mais l’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament.
C’est ensuite tout un cheminement qui le conduit à la vocation sacerdotale et à être ordonné prêtre pour le diocèse de Paris en 1954. Après avoir été aumônier d’étudiants et curé de la paroisse Sainte Jeanne de Chantal, il est nommé par Jean-Paul II évêque d’Orléans (1979-1981), puis archevêque de Paris (1981-2005).
C’est lors de ce long épiscopat parisien qu’il mûrira sa double identité juive et chrétienne revendiquée alors publiquement, et qu’il approfondira ses liens avec ses frères juifs. Il n’est pas possible de restituer la richesse et la multitude de toutes ces rencontres, aussi bien à un niveau national qu’international. Aussi, donnons deux exemples révélateurs de la profondeur de ses méditations autour du « Mystère d’Israël » :
- La parution, en 2002, de son ouvrage La Promesse (éd. Parole et Silence), fruit de l’enseignement donné, en 1979, au cours d’une retraite, aux bénédictines de Sainte-Françoise-Romaine, monastère jumelé avec l’abbaye du Bec-Hellouin, a révélé au grand public la profondeur de sa lecture des Écritures.
En scrutant, chapitre après chapitre, le Mystère d’Israël dans l’évangile de saint Matthieu, un message d’une force de conviction inébranlable revient comme un leitmotiv : ne peut être chrétien que celui qui accueille pleinement la grâce de l’élection d’Israël : « L’Église ne peut recevoir le Christ que si elle reconnaît Israël, car le Christ est le Messie d’Israël » (p. 80-81). Et le drame de la chrétienté, à travers son antisémitisme rémanent, fut de nier cette élection et de proclamer caduque l’Alliance de Dieu avec son peuple. C’est une tentation permanente pour tout chrétien de rechuter dans le paganisme, de présenter au monde un Christ défiguré. C’est un véritable blasphème. Se couper du peuple de la promesse, peuple-racine pour les chrétiens, c’est vouloir s’approprier le Messie, Dieu lui-même, n’être en dette envers personne.
A partir du constat d’une telle infidélité des chrétiens à l’égard de leur propre foi, une passionnante relecture de l’histoire des vingt derniers siècles est esquissée par le Cardinal Lustiger, qui montre bien comment les chrétiens ont failli par moments, à leur vocation.
« Méconnaître ou renier cette Élection priverait de toute signification l’histoire du salut qui fonde la foi chrétienne, et peut-être aussi toute l’histoire humaine » (p. 187), affirmait-il dans un autre contexte, lors des assises du Congrès juif européen, en 2002. Une telle méditation ne peut qu’ouvrir les chrétiens à l’intelligence des Écritures et à la rencontre du Peuple juif.
- Autre moment décisif à la fin de la vie du Cardinal Lustiger, à partir de 2003 : les rencontres au sommet, notamment à New York, des plus hautes autorités du Judaïsme et des Cardinaux et Évêques du monde entier, rencontres suscitées par le grand charisme du Cardinal Lustiger. Des réalisations de cette ampleur nécessitent, en amont, entre partenaires juifs et chrétiens, une amitié profonde, des affinités, une complicité même, afin de permettre de telles ‘’retrouvailles’’. Elles ont été rendues possibles par la qualité d’amitié et les intuitions profondes partagées par le Cardinal Lustiger, le Père Patrick Desbois, à l’époque secrétaire du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, et le Rabbin Israël Singer qui dirigeait en ce temps le Congrès Juif Mondial.
Ces rencontres firent dire un jour au Cardinal Lustiger, évoquant ce qu’il venait de vivre à New York, pour la première fois en 2004, entre Cardinaux du monde entier et Rabbins des plus grandes yeshivot : « Merci à Dieu pour cette rencontre. Nous sommes tous des croyants. Nous avons fait attention les uns aux autres, avec notre esprit, notre cœur, pour comprendre ce qui a été dit. C’est la contribution la plus importante en ce qui concerne les relations entre Juifs et Chrétiens qui se soit jamais produite. »[1]
[1] « Des Cardinaux et des Rabbins se rencontrent à New York, les 19 et 20 janvier 2004. Un face à face exceptionnel, porté par un souffle messianique » (d’après les notes prises lors du Symposium par Claudine Maison), in Sens, 2004, n°8, p. 473.