Sobriété et shabbat

Le mot « sobriété » évoque immédiatement la capacité à savoir s’arrêter, à poser une limite. C’est un mot qui détonne dans le monde d’aujourd’hui, tout porté sur la consommation à outrance et à l’activisme « non-stop ».

Et pourtant, Dieu lui-même a posé une limite à la Création du monde : Dieu s’est arrêté de créer le septième jour. Et il a demandé à l’homme de s’arrêter lui aussi, un jour par semaine. Un jour béni et sanctifié et qui est consacré à la rencontre de l’homme avec son Dieu (Gn 2,1-3).

Nos frères juifs ont reçu le commandement du Shabbat et continuent de le respecter. Une fois par semaine, chaque vendredi soir au coucher du soleil (« Il y eut un soir, il y eut un matin… »), la vie s’arrête, jusqu’au samedi soir au coucher du soleil. Pendant cette période, le juif pratiquant ne fait rien qui puisse s’appeler une « action créatrice ». Comme Dieu s’est arrêté de créer le monde, le juif arrête, lui aussi, de participer à l’action créatrice à laquelle il participe par son travail toute la semaine. La vie s’arrête… Mais la vie s’arrête-t-elle vraiment ? Ne s’arrête-t-elle pas plutôt pour un « plus de Vie » ?

En effet, nous voyons les familles juives réunies au grand complet autour d’une table de fête où chacun peut parler sans être interrompu par le téléphone ou l’arrivée d’un SMS puisque les téléphones sont éteints. Personne ne consulte sa messagerie, personne ne sort pour fumer une cigarette, pas de radio ou de TV … le temps est seulement à la rencontre, à la prière synagogale et domestique et à la joie du Shabbat. Les chants remplacent la musique enregistrée et les danses peuvent même jaillir spontanément autour de la table. La mère de famille a beaucoup travaillé plusieurs jours avant, afin que tout soit préparé et qu’elle n’ait plus à « créer » les repas. La nappe blanche sur la table, les fleurs, les beaux vêtements, les chants, les danses… tout concourt à la fête et à la joie, pendant ce temps béni et sanctifié, ce temps d’union de l’homme avec son Créateur.

Shabbat et Dimanche

Non seulement Jésus a respecté et pratiqué le Shabbat, mais il l’a prolongé. En effet, dans l’évangile de Marc (1,21-34) nous le voyons entreprendre son ministère un jour de Shabbat en commençant la journée par la prière à la synagogue, puis le repas à la maison de Pierre où il va remettre debout sa belle-mère souffrante. Cependant, le soir venu, à l’heure où le Shabbat se termine, Jésus va continuer de guérir… son Shabbat à lui n’est pas terminé à la nuit tombée car il est venu nous apporter un temps nouveau : avec lui, c’est tous les jours la paix et la joie du Shabbat !

Nous les chrétiens, avons donc reçu en héritage cette joie et cette paix du « Shabbat des temps nouveaux ». Et le plus sûr moyen de nous en souvenir, c’est de pratiquer ce que l’Église nous demande : la cessation d’activités profanes le Dimanche toute la journée. L’Église nous demande donc de poser une limite.

Sobriété mode d’emploi

Le manque de limite conduit à une addiction, c’est-à-dire à une impossibilité de se passer d’une habitude ou d’une pratique. Comment lutter contre un courant si fort ? Comment ne pas y tomber ?

Eh bien nous avons dans le psaume premier, une sorte de « mode d’emploi » pour ne pas y tomber justement. Un mode d’emploi qui consiste en trois verbes à la forme négative : « ne pas aller », « ne pas stationner » et « ne pas s’asseoir ». Les traductions ne nous permettent pas de les voir avec autant de netteté, mais ce sont les mots employés en hébreu dans le premier verset :

« Heureux est l’homme qui ne va pas au conseil des méchants, qui ne stationne pas avec les pécheurs et qui ne s’assied pas avec les railleurs ». Le commentaire est simple à comprendre, ce sont les trois étapes, dans l’ordre, que l’on trouve dans tous les manquements à la sobriété : je commence par aller avec des gens (ou des publications, ou des sites internet) peu recommandables, puis je m’arrête avec eux, puis je m’installe avec eux. Celui ou celle qui connaît un problème d’alcool, ou de drogue, ou de pornographie, par exemple, est passé par ces trois étapes : il est allé vers l’objet de sa convoitise, puis il y a stationné, puis il s’y est installé.

On ne change pas une équipe qui perd

Il s’agit seulement d’être vigilent et de ne pas s’engager sur un chemin dont on ne saura maîtriser le parcours. C’est d’autant plus difficile que nous trouverons toujours une bonne raison pour nous permettre de passer outre l’interdit. C’est d’ailleurs ainsi que cela fonctionne depuis Adam et Eve. Ils avaient bien compris le commandement de Dieu leur interdisant de manger le fruit d’un certain arbre, mais c’est justement sur celui-là qu’ils ont fait une fixation à force d’écouter le tentateur, et de s’arrêter avec lui pour discuter, puis de s’installer avec lui comme avec un bon camarade.

Le tentateur ! Celui qui utilise le mensonge comme arme de destruction de la confiance. Dieu vous a dit cela ? Mais vous êtes des naïfs ! Le Pape vous a dit cela ? Mais qu’est-ce qu’il en sait le Pape ?    Chacun peut allonger la liste…

Donc Adam et Eve ont fini par trouver que ce fruit était forcément bon pour obtenir l’intelligence. Vu sous cet angle, qui ne voudrait l’obtenir ? Donc franchissons cet interdit qui n’a pas de sens, et mangeons de ce fruit si désirable et tellement utile !

Comme vous voyez, l’homme n’a pas beaucoup évolué depuis la création du monde, et se sert toujours des mêmes arguments pour obtenir ce qu’il veut.

Vous voulez être heureux ? 

Le livre des psaumes commence par « Heureux ! »… Imprégnons-nous de ce psaume qui, après nous avoir dit ce qu’il ne fallait pas faire, nous dit ce qu’il faut faire : « se plaire dans la Tora du Seigneur et murmurer sa Tora jour et nuit ».

Soyons heureux !

Marie-Hélène Déchalotte – août 2021